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L’oligarchie agro-industrielle et l’agriculture durable : les protestations des agriculteurs européens

Le secteur agricole européen est sur le pied de guerre. « Contagion ou coïncidence ? » Lola García-Ajofrín demande dans le journal espagnol El Confidencial : « Les images de Roumanie sont très similaires à celles de Allemagne, où, début janvier, des dizaines de milliers de personnes ont bloqué les autoroutes avec leurs tracteurs. Dans ce cas, les manifestations visaient à protester contre une série de réductions des subventions accordées aux véhicules agricoles et aux carburants. Les manifestations ressemblent également à celles de Toulouse (France), et Irlande, où les agriculteurs ont défilé avec des vaches, ou à celles de Pologne, et Belgique&nbsp ;[…]. Auparavant, aux Pays-Bas, les agriculteurs sont allés jusqu’à fonder un parti et à obtenir une représentation parlementaire. Depuis que les manifestations néerlandaises contre les tracteurs ont éclaté il y a un peu plus d’un an, des manifestations agricoles ont eu lieu dans plus de 15 pays de l’UE, selon le groupe de réflexion Farm Europe.

Selon les données 2020 d’Eurostat, il y a environ 8,7 millions d’agriculteurs en Europe, dont seulement 11,9 pour cent ont moins de 40 ans. Ce chiffre représente un peu plus de 2 % de l’électorat pour les prochaines élections européennes. Depuis la restructuration due à la PAC (Politique agricole commune), le nombre d’exploitations agricoles dans l’UE a diminué de plus d’un tiers depuis 2005, explique Jon Henley, correspondant Europe pour The Guardian.

Politico.eu map montre où les protestations ont eu lieu et (brièvement) pour quelles raisons. »Dans 11 pays de l’UE, les prix à la production [prix de base que les agriculteurs reçoivent pour leurs produits] ont chuté de plus de 10 % entre 2022 et 2023.Seules la Grèce et Chypre ont connu une augmentation correspondante des revenus des ventes des agriculteurs, grâce à l’augmentation de la demande d’huile d’olive », écrit Hanne Cokelaere et Bartosz Brzeziński.

Henley In The Guardian écrit que « en plus de se sentir persécutés par ce qu’ils considèrent comme une bureaucratie bruxelloise qui connaît mal leur activité, de nombreux agriculteurs se plaignent d’être pris en tenaille entre des demandes apparemment contradictoires du public pour des produits alimentaires bon marché et des processus respectueux du climat. » Pour beaucoup, ce n’est pas la conformité climatique qui fait souffrir le monde agricole, mais « la concurrence entre agriculteurs et la concentration des exploitations », comme le souligne Véronique Marchesseau, agricultrice et secrétaire générale du syndicat de gauche français Confédération paysanne, explique dans Alternatives Economiques. Parallèlement, ajoute Nicolas Legendre, journaliste spécialiste du sujet, interviewé par Vert, il existe aussi une « colère viscérale d’une partie du monde agricole à l’égard des environnementalistes (et de l’environnementalisme en général), alimentée par certains acteurs de l’agro-industrie. »

La question de l’environnement et du développement durable est au cœur des préoccupations de la société.

Dans Reporterre, un site spécialisé dans l’écologie et les luttes sociales que nous reprenons souvent dans Voxeurop, nous apprenons qu’en France, la surface moyenne d’une exploitation agricole est de 96 hectares. Arnaud Rousseau, leader de la FNSEA, le syndicat majoritaire des agriculteurs français, possède une exploitation de 700 hectares. Pourquoi parler de Rousseau ? Parce que, pour revenir à la question des mouvements – qui ils représentent, et qui est représenté – il est important de mentionner quand la voix principale d’un mouvement de protestation est celle d’un oligarque de l’agro-industrie. Un portrait/investigation d’Amélie Poinssot pour Mediapart précise la dimension politique : « Il est à la tête d’un géant de l’économie française: Avril-Sofiprotéol, un géant de ce qu’on appelle les huiles de graines et les protéagineux, fondé par le syndicat. Ce n’est pas moins que le quatrième groupe agro-industriel français ». explique in taz, « il y a des holdings agricoles puissantes qui reçoivent jusqu’à 5 millions d’euros de subventions par an. Et il y a les petites exploitations familiales qui reçoivent quelques centaines d’euros. Il y a l’élevage et la culture. Il y a des agriculteurs conventionnels et des agriculteurs biologiques. Certains produisent pour le marché mondial, d’autres pour le marché hebdomadaire ». Le journal allemand cite un agriculteur de Leipzig, qui travaille pour une ferme coopérative, qui a décidé de ne pas manifester en janvier en raison de l’infiltration de l’extrême droite et parce qu’il ne se sentait pas représenté : « L’association des agriculteurs défend les intérêts des grandes entreprises qui produisent pour le marché mondial et non ceux de l’agriculture à petite échelle.

Les agriculteurs et la violence : deux poids, deux mesures

Le Soir reports, à la suite des manifestations qui ont vu des milliers d’agriculteurs à Bruxelles allumer des feux et lancer des œufs sur le bâtiment du Parlement européen le 1er février. Dans El Pais Marc Bassets écrit que « le pouvoir les craint. La majorité de la population les regarde avec distance et respect ».

Cette attitude trouve son apogée en France, où la différence de traitement des manifestants aux mains de la police est flagrante. L’Europe a dénoncé la violence excessive de la police, en premier lieu envers les Gilets Jaunes, mais aussi diverses manifestations à travers le pays (contre la réforme des retraites, ou lors des émeutes dans les banlieues), et enfin l’utilisation de 5 000 grenades contre les « écoterroristes » à Sainte-Soline.

Ces derniers jours, les agriculteurs n’ont pas seulement bloqué des routes et des autoroutes, ou déversé de la paille et du fumier, mais aussi fait exploser une bombe dans un bâtiment, et mis le feu à un autre. Mais personne ne parle d' »agroterrorisme » et la police n’est jamais intervenue. Bien au contraire, en fait. Quant au ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, il a abandonné son ton martial habituel en exprimant sur TF1 sa « compassion » pour les agriculteurs et en déclarant qu' »on ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS, voilà. »

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« Depuis la Seconde Guerre mondiale, les pouvoirs publics ont toléré de la part des agriculteurs ce qu’ils n’auraient pas toléré de la part d’autres groupes sociaux », explique l’historien Edouard Lynch, expert en études rurales, à Libération. De plus, tous les agriculteurs ne sont pas égaux : « Même au sein des mouvements paysans, l’État cible des groupes minoritaires, comme le montre la répression des manifestations contre les méga-bassins à Sainte-Soline », dans l’ouest de la France, poursuit M. Lynch. Sur Arrêt sur Images, Lynch ajoute, « On voit aujourd’hui [face à ces manifestations] comment la violence à laquelle nous avons assisté ces dernières années est le résultat des stratégies des forces de l’ordre. […] La violence des mouvements sociaux est provoquée par les gardiens de la paix : on décide d’aller vers l’affrontement pour stigmatiser l’adversaire ». Derrière cela, explique-t-il, se cache une sorte de mythologie nationale du « bon agriculteur qui nourrit la nation »

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Lynch est écho par Thin Lei Win dans Green European Journal : il existe « une image positive, à l’échelle européenne, des agriculteurs en tant que gardiens des traditions rurales et du patrimoine culturel, ainsi que fournisseurs de nos moyens de subsistance ». Cela signifie qu’une part beaucoup plus importante de l’électorat sympathise et s’identifie avec eux ».

Traduit par Ciarán Lawless

Traduit par Ciarán Lawless

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