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L’université réservée aux riches ? Les enjeux pour les grévistes de Jovita

Depuis le vendredi 8 décembre, une manifestation a lieu à Poznań pour défendre le dortoir de l’Université Adam Mickiewicz. Adam Mickiewicz. Les étudiants se sont mis en grève professionnelle. Ils s’opposent aux efforts des autorités de l’UAM pour privatiser Jowita, la plus grande maison d’étudiants du centre de Poznań. Au fil des heures, ils sont rejoints par des personnes venues de toute la Pologne avec des sacs de couchage, des vêtements et des vivres. Le lundi 11 décembre, certains professeurs ont transféré leurs cours à Jowita. Ils ont l’intention de rester dans le bâtiment jusqu’à ce qu’ils y parviennent.

Un étudiant perd, l’UAM s’enrichit

Des rumeurs de fermeture de Jowita circulaient depuis un certain temps à l’université de Poznan. Elles sont apparues pour la première fois en 2013, dans le contexte du mauvais état de réparation du bâtiment. Au printemps de cette année, Paula Macioszek et Zofia Puzanow, deux habitantes de Jowita, ont lancé une pétition contre les projets des autorités de l’UAM. Elle a été signée par plus de la moitié des personnes vivant dans la maison des étudiants. En réponse, le recteur de l’UAM, Bogumiła Kaniewska, a annoncé sur les médias sociaux en avril de cette année que le DS Jowita allait être fermé (et, implicitement, remis à des mains privées) au cours de l’année universitaire 2023/2024.

Pourquoi l’université détruit-elle sa propre ressource ? La réponse est simple. Le terrain sur lequel se trouve Jowita a une valeur marchande élevée en raison de sa situation au cœur de la ville. Il n’est donc pas surprenant qu’elle suscite depuis longtemps l’intérêt d’hommes d’affaires privés. Ces lieux situés dans les centres-villes subissent de plein fouet les effets de l’embourgeoisement : prix exorbitants des loyers et pressions exercées pour déplacer les plus pauvres. Le marché libre et l' »esprit d’entreprise » sont sacro-saints en Pologne, qui autorise les entreprises à faire du profit aux dépens du bien commun. Peut-être qu’un nouvel immeuble de bureaux sera bientôt érigé sur le site de Jowita. Dans un scénario plus optimiste, le dortoir sera géré par un propriétaire privé.

Lors de la réunion d’avril entre les autorités de l’UAM et la communauté étudiante dans la salle de conférence Jowita, le recteur de l’UAM, Bogumiła Kaniewska, n’avait pas l’intention de participer au débat, mais plutôt d’expliquer à l’assemblée pourquoi la privatisation du dortoir était nécessaire. Le chancelier de l’UAM, Marcin Wysocki, a gentiment laissé entendre aux étudiants qu’ils pourraient finalement vivre dans un dortoir privé. S’appuyant sur son ancienneté, il semble ne pas voir de différence entre un dortoir d’une université d’État et un dortoir géré par un promoteur privé.

En attendant, la différence est colossale. Le premier a pour but de rendre l’éducation possible pour les personnes vivant dans des centres plus petits et dans des circonstances financières difficiles. Et ces derniers ne visent qu’à maximiser les profits du propriétaire. Ce qui, soit dit en passant, rend généralement plus rentable la location de moins de chambres, mais fait grimper les loyers. En d’autres termes, le développement privé n’est pas un bien commun.

L’occupation de Jowita est l’expression d’une opposition non seulement à cette décision particulière des autorités de l’UAM de fermer le dortoir, mais aussi à l’ensemble de la politique antisociale de l’université, qui ne fait qu’exacerber les problèmes sociaux des étudiants. « Nous voulons que l’université, face à la crise du logement, nous donne des plans concrets pour le développement et la construction de plus de résidences étudiantes », déclarent les membres de l’Initiative pour le logement étudiant et du Cercle des jeunes de l’Initiative des travailleurs. Voici leurs revendications :

1) « Nous demandons un plan concret pour rénover DS Jowita et redonner au bâtiment sa fonction de dortoir public et bon marché.
2. nous demandons un plan concret pour le développement du parc immobilier de l’université.
3. nous demandons des cantines publiques et des salles sociales dans les facultés ».

L’occupation de Jowita est déjà devenue un symbole de la lutte pour le droit à des dortoirs publics et à un soutien social de la part de l’université. Malheureusement, l’affaire de l’UAM n’est pas la seule illustration du fait que le droit à une éducation accessible et gratuite en Pologne n’est qu’un slogan vide de sens. Elle s’inscrit plutôt dans un processus plus large où les universités se soumettent aux règles du marché libre et négligent le soutien social.

Plus de cafards que d’étudiants dans les dortoirs

Une autre affaire académique s’est déroulée à l’Université de Varsovie. Un mois avant le début de l’année universitaire, des demandeurs d’emploi ou des résidents des résidences universitaires de Varsovie se sont retrouvés sans abri du jour au lendemain. Les chambres ont été refusées même aux personnes qui répondaient au critère de revenu et qui vivaient dans le dortoir depuis le début de leurs études. Toutes les demandes d’inscription dans les dortoirs, quelle que soit la date à laquelle elles ont été déposées, n’ont été traitées qu’après le troisième tour de recrutement. Les personnes concernées ont donc reçu leur décision le vendredi 15 septembre. À partir du lundi 18 septembre, les nouveaux locataires devaient commencer à s’enregistrer. Si quelqu’un séjournait dans un dortoir pour les vacances, il devait quitter sa chambre pendant le week-end.

Manifestation des étudiants de Poznan pour la défense du dortoir Jowita. Photo. Kajetan Nowak

En réponse à ce scandale, le Cercle des jeunes de l’Initiative des travailleurs et l’Initiative pour le logement étudiant ont organisé une manifestation le 2 octobre, lors de l’inauguration de l’année académique dans l’Auditorium Maximum. Après la manifestation, le Pro Vice-Chancelier pour l’éducation a décidé de s’adresser aux manifestants. Sławomir Żółtek, qui s’est vu présenter les revendications du mouvement étudiant. Le parc immobilier de l’université, les cantines, les prestations sociales et la révision des règles d’octroi de l’aide sociale ont été critiqués.

Une autre manifestation a eu lieu le 11 octobre après des entretiens avec le vice-chancelier de l’université de Varsovie. Elle a pris la forme d’une nuitée collective à la bibliothèque de l’université de Varsovie à Powiśle. « Les autorités universitaires vous ont refusé un dortoir ? Dormir à la BUW ne vous sera pas refusé ! » – a encouragé le KMIP de Varsovie.

Le campement de nuit dans la bibliothèque a fait l’objet d’une publicité considérable dans les médias et a également attiré l’attention des gardes de l’université, qui ont été amenés de tous les coins du campus. Après les actions de protestation, les places dans les dortoirs ont miraculeusement trouvé leur place. Cependant, cette information avait déjà été communiquée pendant l’année académique et les cours réguliers, et certaines personnes avaient alors réussi à abandonner.

Selon le KMIP de Varsovie, les dortoirs de l’UW n’en accueillent actuellement que 5 %. les étudiants. Les derniers dortoirs de l’université, Żwirek i Muchomorek à Ochota, ont été achevés il y a 53 ans, ce qui signifie que l’université dépend entièrement d’installations construites à l’époque communiste. On a du mal à imaginer où nous vivrions s’il n’y avait pas la commune », commente Jakub Straszewski dans Student Alert.

La pression a du sens

En octobre dernier, des étudiants ont envoyé une lettre ouverte aux autorités de l’université de Waterloo pour leur demander de lutter contre les politiques antisociales de l’université à l’origine de la crise. Deux semaines plus tard, une réponse est arrivée, accompagnée de nombreuses promesses. l’ouverture d’une cantine publique à l’UBW et la réalisation d’une enquête sur la situation matérielle des étudiants et des étudiantes par l’équipe du Laboratoire d’évaluation de la qualité de l’enseignement.

En cette période de crise du logement, d’inflation et de contrats de pacotille, avec un manque de dortoirs et de cantines bon marché, les études sont devenues une activité multitâche extrême et un saut entre les responsabilités universitaires et le travail rémunéré. Après les cours, les étudiants et étudiantes travaillent dans la gastronomie, l’hôtellerie, comme plongeurs, coursiers et toute une série d’autres emplois « étudiants ». Selon un rapport de l’Association polonaise des banques, les dépenses mensuelles des étudiants ont doublé depuis 2017 et s’élèvent désormais à plus de 3 100 PLN. Le défi n’est plus d’aller à l’université, mais de combiner études et travail pour rester à flot.

Manifestation des étudiants de Poznan devant le dortoir Jowita. Photo. Kajetan Nowak

Nous constatons que l’État se désengage de sa responsabilité sociale dans de nombreux domaines. L’université, qui devrait être un outil d’égalisation des chances, devient une institution élitiste accessible uniquement aux plus riches – ou du moins à ceux qui peuvent se permettre de louer sur le marché libre. L’idée qu’il puisse être accessible et ouvert semble subversive et utopique dans le capitalisme néolibéral. Il semble que la conclusion formulée par le Comité ouvert pour la libération des espaces éducatifs (OKUPÉ) fondé à l’université de Gdansk en 2009 soit toujours d’actualité : « Une université libre dans un système capitaliste est comme une salle de lecture dans une prison – un endroit agréable, mais qui ne change pas beaucoup et où il faut être privilégié pour y avoir accès.

Que peut-on faire pour que l’université devienne un espace accueillant également pour ceux qui partent de positions plus difficiles ? Soutenir le mouvement étudiant, bloquer conjointement la privatisation progressive et les alliances entre les institutions publiques et les grandes entreprises, forgées aux dépens des plus faibles.

Les outils les plus efficaces pour faire pression sur les autorités sont les manifestations et les grèves. Comme le montre l’exemple des discussions oiseuses d’avril avec les autorités de l’UAM, tant que le statu quo n’est pas remis en question, il n’y a aucun espoir d’être pris au sérieux. La grève des étudiants est régie par l’article 106. de la loi sur l’enseignement supérieur est relativement facile à mettre en œuvre, surtout si on la compare à une grève sur un lieu de travail.

Toutefois, outre le courage, les bonnes tactiques et la capacité à parler le langage de l’intérêt personnel, une pression efficace nécessite encore de la visibilité. Le manque de cantines ou les fermetures de dortoirs poussent de plus en plus de personnes à abandonner l’université, mais ce n’est pas toujours un sujet suffisamment brûlant pour que les médias s’y intéressent.

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Magda Borysławska – Doctorat en sciences humaines (UW) ; a soutenu sa thèse de doctorat sur la persécution des hommes homosexuels dans le Troisième Reich ; chercheuse en discours et germaniste travaillant sur la sociologie de la déviance, de la violence collective et des paniques morales, notamment à travers l’analyse critique du discours. Elle a publié des articles dans les revues « In Gremium. Studies in History, Culture and Politics », « German Studies/Studien zur Deutschkunde », « GENDER. Zeitschrift für Geschlecht, Kultur und Gesellschaft », « Text and discourse – text und discourse », « Culture and Society », « European Review », « Acta Humana » et « Gaismair-Jahrbuch ».

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– Magda Borysławska

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